Peut-on prévoir la qualification d’œuvre collective des œuvres futures dans le contrat de travail d’un salarié ? C’est à cette question inédite que répond un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 10 juin 2016 qui apporte une solution utile pour les entreprises.
Selon l’article L. 113-2 al. 3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), « Est dite collective l’oeuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé. ».
L’œuvre collective est une construction atypique dans le paysage du droit d’auteur français puisqu’elle permet à une personne morale d’être titulaire des droits de propriété intellectuelle dès l’origine, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une cession des droits. En dehors de cette hypothèse, seuls les auteurs personnes physiques sont titulaires initiaux des droits. C’est pourquoi le recours à l’œuvre collective est très fréquent pour les employeurs qui essaient ainsi d’éviter la rigueur de l’article L. 111-1, al. 3 du CPI selon lequel la conclusion d’un contrat de travail ne déroge pas au principe selon lequel l’œuvre appartient à son auteur, même s’il la réalise en exécution de son contrat de travail.
La qualification d’œuvre collective fait peser sur celui qui la revendique un fardeau probatoire assez lourd puisqu’elle impose de prouver le respect de toutes les conditions prévues par l’article L. 113-2 du CPI.
Un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 10 juin 2016 apporte une solution intéressante qui, si elle est confirmée, pourrait alléger la charge de la preuve de l’œuvre collective créée dans le cadre d’une relation de travail.
Dans cette affaire, la directrice artistique junior d’une agence de publicité sollicitait la nullité de la clause de cession de droit d’auteur prévue dans son contrat, dont les paragraphes pertinents sont les suivant :
« Marianne V. est consciente que la société a pour activité la création d’œuvres de l’esprit et que dès lors, l’ensemble des salariés de la société concourt à la conception, la création ou la production de Réalisations, lesquels constituent des œuvres collectives appartenant à la société.
Si même, Marianne V. était amenée à travailler à une ou plusieurs Réalisations n’ayant pas la qualification d’œuvres collectives, Marianne V. reconnaît et accepte que sa rémunération mensuelle telle que prévue à l’article 7 du présent contrat englobe la cession des droits de propriété et d’exploitation (reproduction, représentation, adaptation) afférents aux Réalisations effectuées. »
L’article 7 du contrat de travail prévoyait également que « De convention expresse entre les parties, cette rémunération intégrera le montant de la cession des droits cédés par Marianne V. au titre de la propriété intellectuelle et artistique, pour un montant forfaitaire mensuel brut de 50 €. »
Au soutien de sa demande de nullité, la salariée invoquait cette clause contractuelle ne respectait pas les dispositions de l’article L. 131-3 du CPI, qui impose que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue, sa destination, et quant au lieu et à la durée.
La Cour d’appel retient que la salariée n’apportait pas la preuve du caractère individuel des œuvres qu’elles revendiquait et en déduit qu’ « en l’état de la présomption posée par le contrat de travail, il y a lieu de considérer que toutes les créations de Marianne V. durant sa période d’emploi par la société ARC était, faute de preuve contraire, des œuvres collectives n’ouvrant donc pas droit à des droits d’auteur pour les salariés les ayant créées ».
Il est intéressant de relever que la Cour d’appel valide la présomption d’œuvre collective prévue par le contrat de travail sans vérifier que les conditions prévues par l’article L. 113-2 du CPI. En raison de cette présomption, la Cour juge qu’il appartenait à la salariée auteur de prouver du caractère individuel de la création, ce dont elle s’était abstenue en l’espèce.
L’arrêt de la Cour d’appel de Lyon est, à notre connaissance, le premier à statuer sur la validité et la portée de ce type de clause anticipant la qualification d’œuvre collective. Si cette solution était confirmée, il serait utile pour les entreprises d’intégrer systématiquement dans les contrats de travail des clauses de ce type pour limiter le risque de revendications de droits d’auteurs de la part de salariés.
La solution retenue par la Cour d’appel est cependant trop générale dans son principe, notamment en ce qu’elle ne vérifie pas a minima le respect des conditions de l’œuvre collective, ce qui nous semble contraire aux dispositions du CPI.
Jérôme TASSI
L’article a également publié sur Village de la Justice.