Le contentieux des inventions de salariés se maintient à un niveau élevé depuis le début des années 2000. La Commission Nationale des Inventions de Salariés (ci-après la CNIS) est saisie d’environ 25 nouvelles affaires par an, et les juridictions judiciaires rendent chaque année une vingtaine de décisions dans cette matière. L’analyse des décisions révèle que ces contentieux sont dus le plus souvent à une indétermination des règles applicables, ce qui crée une insécurité juridique à la fois pour les employeurs mais aussi pour les salariés.
Quel est le régime juridique applicable aux inventions de salariés ?
Rappelons tout d’abord brièvement le régime légal instauré par l’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle qui distingue trois catégories d’inventions :
- Les inventions dites « de mission » définies comme celles réalisées par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives), soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées par l’employeur. Ces inventions appartiennent de plein droit à l’employeur, mais le salarié doit bénéficier d’une rémunération supplémentaire déterminée par les conventions collectives, les accords d’entreprise et les contrats de travail. A défaut, elle est fixée par la CNIS ou les Tribunaux.
- Les inventions dites « hors mission attribuables » qui sont celles réalisées par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle. L’employeur peut se faire attribuer la propriété du brevet dans un certain délai, en suivant la procédure prévue aux articles R. 611-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. En cas d’attribution par l’employeur, le salarié a droit à un juste prix, négocié de gré à gré. A défaut d’accord, le juste prix est fixé par la CNIS ou les Tribunaux.
- Toutes les autres inventions dites « hors mission non attribuables » réalisées par un salarié lui appartiennent et ce dernier peut librement les exploiter. Le salarié n’a droit à aucune contrepartie financière de son employeur pour cette invention.
Ce régime s’applique à l’ensemble des salariés de droit privé, qu’ils soient en contrat à durée indéterminée ou déterminée, dès lors que l’invention a été réalisée pendant la période d’exécution du contrat.
Il présente un caractère supplétif, « à défaut de stipulations contractuelles plus favorables ». Le régime légal des inventions de salariés constitue donc une protection minimum de l’inventeur salarié, pouvant être renforcée, mais non restreinte.
La rémunération supplémentaire est obligatoire depuis la loi du 26 novembre 1990 pour toutes les inventions de mission.
L’article L. 611-7 du CPI ne prévoit que trois types de textes pouvant déterminer le calcul de la rémunération supplémentaire : la convention collective, l’accord d’entreprise et le contrat de travail.
En effet, même si dans certains pays comme la Chine ou l’Allemagne, la loi fixe directement les modalités de calcul de la rémunération, la France n’a pas fait ce choix en préférant inciter les partenaires sociaux à négocier les modalités de la rémunération supplémentaire. Ce niveau de négociation parait préférable à une fixation uniforme par la loi car il permet de s’adapter aux spécificités de chaque secteur industriel.
Les conventions collectives et les inventions de salariés
Les conventions collectives se contentent soit de généralités sans modalités de calcul précises soit prévoient des conditions plus strictes que la loi. Or, selon la jurisprudence, sont réputées non écrites les dispositions subordonnant le paiement d’une rémunération supplémentaire à des conditions plus restrictives que celles prévues par la loi (Cass. Com., 22 février 2005, s’agissant de la convention de la métallurgie qui conditionne la rémunération au caractère exceptionnel de l’invention ; CA Paris, 11 mars 2001 s’agissant de la convention collective des industries chimiques limitant la rémunération aux seules inventions exploitées).
Malgré ces décisions, les dispositions des conventions collectives demeurent inchangées et sont donc d’un intérêt très faible pour les employeurs et les salariés. Une des raisons invoquées serait le peu d’intérêt des partenaires sociaux pour la question des inventions de salariés.
Les contrats de travail et les inventions de salariés
Les contrats de travail sont un cadre pertinent pour préciser les modalités de la rémunération supplémentaire en cas d’invention réalisée par le salarié.
En pratique, l’insertion de clauses sur la rémunération supplémentaire est plus facilement réalisable pour les nouvelles PME innovantes qui mettent en place pour la première fois un système de rémunération.
A l’inverse, les sociétés de taille importante sont parfois réticentes à mettre en œuvre de telles clauses car cela nécessiterait de faire signer des avenants à tous les salariés. Or, il y aurait, d’une part, une possibilité de refus de signer l’avenant et, d’autre part, un risque de contentieux pour les inventions passées pour lesquelles la rémunération supplémentaire était faible voire inexistante.
Les accords d’entreprise sur les inventions de salariés
Les accords d’entreprise sont prévus par les articles L. 2232-11 et suivants du Code du travail et tout accord portant sur la rémunération supplémentaire doit respecter le formalisme de négociation et de conclusion prévu par ces articles. A contrario, une politique mise en place unilatéralement par l’employeur sans négociation avec les partenaires sociaux serait inopposable aux salariés (CA Paris, 30 mai 2017, RG 16/06557 ; voir également TGI Paris, 7 novembre 2008, la société « ne saurait se prévaloir de son barème interne exposé lors de la réunion exceptionnelle du comité central d’entreprise du 13 février 2002, les dispositions ci-dessus rappelées de l’article L.611-7 § 1 du Code de la propriété intellectuelle faisant référence, pour la détermination des conditions d’octroi de la rémunération supplémentaire, aux seuls conventions collectives, accords d’entreprise et contrats individuels de travail »).
La conclusion d’un accord d’entreprise présente de nombreux avantages :
- Elle permet une négociation avec les partenaires sociaux adaptée aux contraintes du secteur et de l’entreprise (il parait logique que la rémunération supplémentaire soit différente selon que l’invention soit réalisée dans une entreprise pharmaceutique multinationale ou une petite entreprise dans la métallurgie).
- Elle assure une sécurité juridique pour l’employeur et les inventeurs salariés puisque cet accord collectif sera très généralement appliqué par les Tribunaux (voir notamment TGI Paris, 14 avril 2016, RG 14/17322)
- L’accord s’applique aux situations en cours et donc aux inventions passées pour lesquelles la rémunération n’a pas encore été versée, sous réserve de la prescription ( Com, 22 février 2005 : un accord d’entreprise a « valeur normative, s’imposant à tous et régit les situations en cours »)
- L’accord peut être rétroactif conformément à la dérogation prévue par l’article L. 2261-1 du Code du Travail (voir par exemple TGI Paris, 20 juin 2013 : application d’un accord collectif d’entreprise conclu en 2010, établi postérieurement au départ du salarié dès lors que cet accord prévoyait une rétroactivité au 1er janvier 1998)
En conclusion, la question des inventions de salariés mérite une meilleure prise en compte au sein des entreprises pour éviter la multiplication des contentieux et, de manière générale, les tensions suscitées par ces problématiques lorsqu’un salarié souhaite faire valoir ses droits. La conclusion d’un accord collectif d’entreprise semble la solution juridique la plus adaptée car les modalités de calcul seront négociées avec les partenaires sociaux et connues de tous.
Jérôme TASSI
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