Un arrêt du 18 septembre 2018 de la Cour d’appel de Rennes permet de s’interroger sur l’impact du temps pour l’exercice des droits de l’auteur. Si la question de la prescription de l’action en nullité du contrat de cession d’auteur est assez classique, la solution adoptée par la Cour sur l’influence de la tolérance pour l’exercice du droit moral est novatrice.
Le droit d’auteur est souvent considéré comme très favorable à l’auteur et parfois déconnecté de la réalité économique, notamment le domaine des arts appliqués. L’écoulement du temps a dans cet arrêt pour conséquence de favoriser le cessionnaire exploitant au détriment de l’auteur.
La nullité d’un contrat de cession de droit d’auteur est-elle soumise à la prescription ?
L’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle est une des dispositions les plus connues du droit d’auteur français car il impose un formalisme contractuel en cas de cession : « La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. ».
Depuis la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016, il est précisé à l’article L. 132-2 que « Les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constatés par écrit ».
Ces textes ont une application quotidienne pour toutes les cessions d’œuvres qui doivent être très précises et détaillées pour sécuriser l’étendue de la cession. En effet, selon la jurisprudence, « la cession du droit de reproduction d’une oeuvre de l’esprit est limitée aux modes d’exploitation prévus par le contrat d’édition, tout mode non expressément visé par le contrat étant réputé non cédé ou concédé par l’auteur » (CA Paris, 23 mars 2012, RG 10/25086).
L’existence de ce formalisme conduit naturellement à s’interroger sur la sanction en cas de non-respect de ces textes. Cette question est assez ancienne et la jurisprudence a déjà tranché un certain nombre de problématiques :
- la nullité encourue est une nullité relative et non une nullité absolue, de sorte que seul les parties peuvent s’en prévaloir, à l’exclusion des tiers au contrat (voir par exemple : CA Paris, 29 avril 1998, RG 95/20729 : « la nullité qui découle [de l’article L. 131-3] est de nature relative parce que destinée à protéger le cédant et, de ce fait, n’autorise pas un tiers poursuivi pour contrefaçon à se prévaloir de l’irrégularité formelle de la cession incriminée»)
- Le formalisme ne vaut qu’entre l’auteur et le cessionnaire, et non pour les sous-cessions ultérieures Cass. Civ. 1ère, 13 octobre 1993, n° 91-11241)
- l’action en nullité de la cession est soumise à la prescription quinquennale, avant comme après la réforme de la loi du 17 juin 2008
L’arrêt de la Cour d’appel de Rennes s’inscrit pleinement dans cette lignée jurisprudentielle.
Dans cette affaire, une créatrice a cédé ses droits à une autre personne physique sur certaines créations pour être utilisées sur des bijoux, en mars 2008.
La cession était ainsi rédigée : « Droits cédés : La cession des dessins (réalisés sur des modèles fournis par le cessionnaire, pour mise en situation) comprend la cession exclusive des droits de fabriquer, reproduire tel ou partie, et/ou dérivés, distribuer et/ou vendre les produits pourvu qu’ils soient conformes à l’esprit des dessins exclusifs sur des modèles choisis par le cessionnaire, pour la durée du brevet ».
Suite à des désaccords, la créatrice a assigné la cessionnaire et sa société en nullité du contrat et pour atteinte à ses droits d’auteur en juin 2013. La créatrice invoquait l’absence de durée, puisque, selon elle, la référence au « brevet » était erronée et donc la durée était indéterminée, en violation de l’article L. 131-3.
Logiquement, et sans se prononcer sur le fond, la Cour déclare la demande prescrite : « que certes, en faisant référence à la durée du ‘ brevet’, il apparaît que la durée du contrat comme s’en plaint Mme G. n’est pas déterminable, mais il s’agit alors d’une irrégularité dont elle peut seule faire état, s’agissant de la protection du cédant et qui lui permet d’agir en nullité dans le délai de cinq ans de la date de signature du contrat le 5 mars 2008 ; que l’action en nullité introduite le 14 juin 2013 est prescrite ».
En effet, la prescription commence normalement à courir lors de la signature du contrat puisqu’à cette date, le cédant est en mesure de connaitre les vices potentiels qui affectent la cession.
La durée de la prescription permet ainsi s’assouplir légèrement la rigueur du formalisme de la cession d’auteur puisqu’au bout de 5 ans à compter de la signature de la cession, les vices qui pourraient l’affecter quant au formalisme de l’article L.131-3 ne peuvent plus être valablement invoqués. Or, en pratique, il est fréquent que les contentieux portant sur les cessions de droit d’auteur interviennent plusieurs années après la conclusion de la cession.
La tolérance sur le droit au nom peut-elle être invoquée ?
La solution apportée par la Cour d’appel de Rennes à cette question est beaucoup plus originale.
Selon l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur « a droit au respect de son nom », ce qui implique, en principe, que le nom de l’auteur soit mentionné lors de l’exploitation qui est faite de ses œuvres. Le droit au nom, comme les autres attributs du droit moral est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
La jurisprudence dominante rappelle la règle selon laquelle « tout auteur d’une oeuvre de l’esprit qui est divulguée a droit à la reconnaissance de sa paternité sur celle-ci » et en déduit que dès lors que « l’auteur n’a pas renoncé à l’apposition de son nom sur ses illustrations, une simple tolérance n'[est] pas créatrice de droit » (CA Paris, 23 mars 2012, RG 10/25086). En effet, selon la jurisprudence, la tolérance n’est jamais créatrice de droit à défaut de texte spécial le prévoyant (voir par exemple en matière de marques, CA Paris, 28 mars 2003, RG 2001/18187).
La Cour d’appel de Rennes prend le contre-pied de cette jurisprudence. Elle rappelle tout d’abord « qu’il importe peu que le contrat n’ait pas prévu l’obligation d’apposer le nom de Mme G. sur les bijoux exploitant ses dessins ».
Pourtant, elle déboute la créatrice de sa demande au titre du droit moral car elle « qui savait que les dessins qu’elle cédait devaient être exploités commercialement, n’a pas demandé que ceux-ci soient diffusés sous son nom, qu’elle ne peut s’en plaindre sérieusement plusieurs années plus tard ».
En d’autres termes, l’auteur qui n’a pas fait la demande que son droit au nom soit respecté pendant quelques années, en connaissance de cause de l’exploitation réalisée, a toléré cette situation et ne peut plus se prévaloir d’une atteinte à son droit moral. Même si la Cour ne le dit pas, il est probable qu’elle ait considéré qu’une tolérance pendant une durée supérieure à la celle de la prescription quinquennale empêche l’auteur d’invoquer l’atteinte à son droit au nom.
Cette solution ne respecte pas pleinement les principes du droit moral et devrait probablement être cantonnée au domaine des arts appliqués, où la jurisprudence a souvent tendance à appliquer le droit d’auteur plus souplement.
En conclusion, il ressort de l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes que le temps joue en faveur du cessionnaire exploitant et non en faveur de l’auteur que ce soit pour la prescription de l’action en nullité de la cession ou la tolérance en matière de droit moral.
Jérôme TASSI
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