La loi EVIN limite fortement la publicité pour les boissons alcooliques. D’une part, l’article L.3323-2 du Code de la Santé Publique (CSP) prévoit neuf supports publicitaires limitatifs, parmi lesquels la presse écrite à l’exclusion des publications destinées à la jeunesse et les ses services de communications en ligne à l’exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse.
D’autre part, l’article L.3323-4 du CSP limite le contenu publicitaire lui-même en précisant les trois principes suivants :
- La publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.
- La publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine telles que définies à l’article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés.
- La publicité peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.
Les associations de lutte contre le développement de l’alcool agissent régulièrement contre les publicités qui présenteraient la consommation d’alcool sous un jour trop favorable (ce qui est certes le but d’une publicité).
Dans une décision remarquée de 2015, la Cour de cassation avait débouté les demandes de l’ANPAA contre une campagne publicitaire mettant en avant des producteurs bordelais tenant un verre à la main avec des indications sur les appellations d’origine. La Cour de cassation avait considéré de manière très détaillée que « les personnages figurant sur les affiches, expressément désignés comme des membres de la filière de production ou de commercialisation des vins de Bordeaux, ne sont pas assimilables au consommateur et se rattachent, comme ayant participé à cette production ou à cette commercialisation, au facteur humain visé par l’article L. 115-1 du code de la consommation, auquel fait référence l’article L. 3323-4 du code de la santé publique, que la seule représentation de personnages ayant un verre à demi plein à la main ne dépasse pas les limites fixées par le texte susvisé qui exige une représentation objective du produit, telle que sa couleur ou son mode de consommation, que l’impression de plaisir qui se dégage de l’ensemble des visuels ne dépasse pas ce qui est nécessaire à la promotion des produits et inhérent à la démarche publicitaire proprement dite, laquelle demeure licite, et que l’image donnée de professions investies par des jeunes, ouvertes aux femmes et en recherche de modernité, est enfin pleinement en accord avec les dispositions légales autorisant une référence aux facteurs humains liés à une appellation d’origine ; que la cour d’appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, qu’était remplie la prescription de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique relative au caractère objectif et informatif de la publicité »[1].
Cette décision avait été saluée par les producteurs de boissons alcooliques et les publicitaires comme un pas en avant vers plus de souplesse dans l’application de la loi Evin. L’arrêt Grimbergen du 20 mai 2020 devrait, à l’inverse, inciter les producteurs et les publicitaires à plus de prudence.
Dans cette affaire, l’ANPAA a agi contre la société Kronembourg, exploitant la bière belge GRIMBERGEN, pour obtenir l’interdiction de la diffusion de deux films intitulés « La légende du Phoenix » et « Les territoires d’une légende », d’un jeu dénommé « Le jeu des territoires » et de publicités comportant le slogan « L’intensité d’une légende ». Ces publicités mettaient en avant l’origine légendaire de la bière par analogie avec le Phoenix.
Une publicité portant sur l’origine d’une boisson alcoolique est possible selon les dispositions précitées du CSP mais la question posée à la Cour de cassation était de savoir si cette publicité sur l’origine doit être nécessairement informative et objective ou si elle peut être plus imaginaire ou hyperbolique comme en l’espèce.
Dans un arrêt du 13 décembre 2019, la Cour d’appel de Paris avait fait une interprétation stricte des dispositions du CSP. Elle avait ainsi jugé que « s’agissant du contenu du message publicitaire qui, par nature, ne saurait être purement informatif, le texte sus-mentionné, dont il convient de rappeler qu’il constitue une incrimination pénale, n’autorise que l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit, ainsi que des références relatives aux terroirs de production et aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine ou aux indications géographiques ainsi que des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit ; Qu’il s’ensuit que les mentions ne doivent être purement objectives que lorsqu’elles sont relatives à la couleur, aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit, ce qui laisse la place à l’imagination des concepteurs des messages publicitaires lorsque la communication porte sur d’autres éléments de communication, tels que l’origine, la dénomination ou la composition du produit ».
En ce qui concerne les films publicitaires, la Cour d’appel a considéré que « le film de la société Kronenbourg ne peut encourir de critique lorsqu’il décrit l’histoire de l’Abbaye de Grimbergen et vient expliciter le choix qu’elle a fait de son emblème et de sa devise, du fait de ses renaissances successives après de multiples destructions ; que le choix de recourir à un récit narratif évoquant, en premier lieu, ce qu’a été, à travers les âges, le phoenix, emblème de la marque et dont la société Kronenbourg peut faire usage dans sa communication, n’altère nullement le fait que le contenu du message porte sur l’origine du produit ».
L’appréciation souple de la Cour d’appel permettait donc aux exploitants de communiquer assez librement sur l’origine de leurs boissons, ce qui est assez fréquent dans le domaine de la bière ou des spiritueux.
Cet espoir qui s’inscrivait à la suite de l’arrêt de 2015 est mis à mal par l’arrêt Grimbergen du 20 mai 2020[2]. Dans cet arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation a précisé expressément que l’ensemble du contenu publicitaire autorisé à l’article L. 3323-4 du CSP doit présenter un caractère objectif et informatif, cette exigence ne concernant pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit (comme une lecture stricte du texte aurait pu le laisser penser).
L’arrêt d’appel doit donc être cassé puisqu’il a considéré que la communication sur les origines et la composition du produit n’a nullement à être objective et peut parfaitement être hyperbolique.
La Cour de cassation affirme donc ici clairement que toute publicité sur les boissons alcooliques doit présenter un caractère objectif et informatif, quelle que soit la caractéristique de la boisson mise en avant. Toutes les publicités pour les boissons alcooliques doivent donc être analysées à l’aune de cette nouvelle interprétation stricte de la loi EVIN.
[1] Cass. Civ. 1ère, 1er juillet 2015, n° 14-17368
[2] Cass. Civ. 1ère, 20 mai 2020, n°19-12.278
Jérôme TASSI
Ajouter une réponse