Quel est le taux de succès des oppositions aux demandes de marques devant l’EUIPO ?
Pour déterminer le taux de succès des oppositions devant l’EUIPO, J’ai analysé les 1016 décisions rendues entre le 1er janvier et le 1er mars 2020. Ce nombre de décisions me semble suffisant pour donner des résultats intéressants :
- 320 décisions ont conclu au rejet total de la demande de marque (32%)
- 368 décisions ont conclu au rejet partiel de la demande de marque (36%)
- 312 décisions ont rejeté l’opposition sur le fond (32%)
- 16 décisions ont déclaré l’opposition irrecevable (2%)
Le taux de succès des oppositions, en intégrant les succès partiels, est donc d’environ 68%, ce qui est très élevé et montre l’intérêt de déposer des marques de l’Union Européenne.
Suite de l’injonction anti-anti-suit : confirmation par la Cour d’appel (CA Paris, 3 mars 2020)
Dans la cadre d’un litige de contrefaçon de brevets, le juge des référés du TGI de Paris avait ordonné à LENOVO de retirer sa demande d’injonction anti-suit déposée auprès d’un Tribunal californien, pour que ce dernier interdire à IP Com d’engager des procédures à l’étranger (et notamment en France).
La Cour d’appel confirme la compétence des juges français pour statuer car l’injonction priverait IPCOM du droit d’agir devant le juge français pour faire valoir ses droits.
Sur le fond, la demande anti-anti-suit est confirmée : « indépendamment de l’appréciation de la conformité à la conception française de l’ordre public international de l’injonction anti-procès (« anti-suit ») déposée par les société Lenovo devant le juge californien, […] cette mesure par la seule perturbation qu’elle engendre à raison de l’atteinte portée à un droit fondamental, caractérise un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 du code de procédure civile, de sorte que le premier juge a, à bon droit […], ordonné aux sociétés Lenovo de retirer sous astreinte la demande d’injonction anti-procès litigieuse».
Le rôle des stagiaires pour un constat d’achat : tout est question de loyauté (CA Paris, 28 février 2020)
La question est récurrente : un stagiaire peut-il assister un huissier lors d’un constat d’achat ? A la suite d’un arrêt de cassation du 25 janvier 2017, la solution semblait s’imposer et un stagiaire d’un cabinet d’avocat ne pouvait pas procéder à un achat constaté par un huissier.
La Cour d’appel affine cette position en distinguant deux situations :
- Si le stagiaire n’a pas indiqué sa qualité, le constat doit être annulé car la dissimulation est déloyale
- Si le stagiaire indique sa qualité à l’huissier, le constat est valable : « dès lors que le seul fait que l’achat supposé ait été effectué par une stagiaire du cabinet d’avocat de la requérante dont l’identité et la qualité sont clairement établies ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable n’excluant pas la possibilité d’apprécier au vu de l’ensemble des pièces versées aux débats par les parties la pertinence et la portée du procès verbal de constat ainsi établi par l’huissier de justice »
Cette solution doit être approuvée car la vrai sujet n’est pas l’indépendance mais la loyauté.
Comment communiquer après une décision provisoire de contrefaçon ? (CA Paris, 3 mars 2020)
Ayant obtenu une interdiction provisoire pour contrefaçon de brevet devant le jugé de la mise en état, le breveté avait publié sur son site le communiqué suivant : https://www.jcb.com/en-gb/news/2019/02/jcb-wins-court-injunction-to-stop-patent-infringement
La Cour d’appel ne retient pas le dénigrement invoqué par la société défenderesse : « cette décision de justice étant publique, elle pouvait faire l’objet d’une publicité quand bien même cette mesure d’interdiction et donc la décision qui la prononce est « provisoire » et même si l’information en cause ne se rapporte pas à un sujet d’intérêt général, le communiqué litigieux ne mettant pas en cause en l’espèce un quelconque droit à la liberté d’expression mais simplement celui de rendre public une décision, fût-elle provisoire, rendue en sa faveur. »
L’absence de mention du dispositif intégral de la décision ainsi que des voies de recours possibles ne sont pas de nature à rendre l’information trompeuse selon la Cour d’appel.
Il est donc possible de communiquer sur une décision provisoire mais il faut communiquer objectivement et avec mesure, en évitant tous les termes excessifs.
La protection d’un aménagement intérieur de magasin par le droit d’auteur (CA Douai, 5 mars 2020)
Dans le cadre des franchises, il est fréquent que l’aménagement intérieur du magasin soit imposé aux franchisés. La protection de cet aménagement peut se faire par un dépôt de marque ou un dépôt de dessins et modèles mais le droit d’auteur est sans doute le droit le plus approprié.
La question de la protection par le droit d’auteur a été posée dans le cadre de deux contentieux portant sur l’aménagement intérieur d’un même salon de coiffure, objet d’un contrat de franchise. Dans les deux décisions, rendues les 24 septembre 2014 et 5 mars 2020, la Cour d’appel de Douai a reconnu le principe de protection de cet aménagement : « l’aménagement type d’un salon de coiffure peut être protégé au titre des droits d’auteur à la double condition que cette création soit formalisée, à la différence d’une simple idée ou d’un concept, et qu’elle soit originale, en ce qu’elle traduise l’empreinte de la personnalité de son auteur. »
Cependant, l’originalité a été reconnue dans la première décision mais pas dans la seconde. Il ne faut pourtant pas y voir un revirement de jurisprudence mais une conséquence des évolutions du demandeur dans la définition de la protection recherchée. Il appartient en effet à celui qui revendique un droit d’auteur de déterminer les éléments caractéristiques qui seraient originaux et sur lesquels pourrait porter la protection.
Ainsi, la définition de l’originalité de son œuvre par l’auteur peut varier selon les contentieux, souvent à des fins stratégiques pour se rapprocher de la contrefaçon alléguée.
Cela était le cas dans ces deux procédures.
Dans la première affaire, la société poursuivie était un ancien franchisé qui n’avait modifié ni l’aménagement du salon ni le mobilier à la fin du contrat de franchise. Le franchiseur revendiquait donc un droit d’auteur sur un aménagement très détaillé, rappelé dans l’arrêt, pour chaque espace du salon. A ces éléments caractéristiques de l’aménagement, « sont associées, selon les prescriptions du franchiseur, les ‘formes douces’ du logo, reproduit en petites touches sur tous les éléments, la couleur rouge qui constitue la couleur caractéristique de la marque et se retrouve sur tous les accessoires (brosses, sèche-cheveux, stylers etc…). ». Au vu de cette description complète de « l’œuvre » revendiquée, la Cour d’appel de Douai avait considéré, en 2014, que l’aménagement était protégeable par le droit d’auteur car « ces éléments traduisent un travail de création et un parti pris esthétique de l’auteur qui n’est pas dicté par des contraintes fonctionnelles et donne au ‘salon Shampoo’ une physionomie propre, différente des enseignes concurrentes et protégeable au titre du droit d’auteur ».
Promotion du foie gras contre défense des animaux : liberté d’expression et exception de parodie (CA Paris, 13 mars 2020)
Les faits de l’espèce sont simples. Le CIFOG (comité national interprofessionnel des palmipèdes a foie gras) a fait réaliser un film publicitaire de 15 secondes pour promouvoir le foie gras. L’association L214, association de protection animale, a diffusé que les réseaux sociaux un film de 30 secondes reprenant 6 secondes du film du CIFOS pour dénoncer les conditions de production du foie gras.
Le CIFOG a assigné l’association L214 en référé lui reprochant d’avoir abusé de de la liberté d’expression et porté gravement atteinte aux droits du CIFOG sur son film tout en profitant indûment des investissements importants engagés pour sa réalisation et sa diffusion. Curieusement, l’atteinte au droit d’auteur ne semble pas avoir été invoqué en première instance. Le juge des référés a fait droit à cette demande d’interdiction du film de L214.
En appel, la Cour a tranché en faveur de l’association L214. Au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour d’appel considère que l’association L214 est en droit de se prévaloir de la liberté d’expression et que le film litigieux ne constitue pas un trouble manifestement excessif pour le CIFOG.
La Cour relève notamment « qu’une césure est clairement faite entre les 6 premières secondes du film qui sont la reprise à l’identique de la publicité objet de la critique et la suite du film qui interroge le spectateur et remonte le temps pour lui présenter la souffrance animale qu’elle considère à l’origine du produit vanté. La reprise ensuite de l’image finale permet de parodier le slogan «Le foie gras, exceptionnel à chaque fois» et le bandeau «pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes» et d’attirer l’attention sur le financement de FranceAgriMer dénoncé comme provenant de «nos impôts». ». Elle ajoute également que « la seule atteinte à des investissements financiers ne peut à elle seule justifier en l’espèce une restriction de la liberté d’expression s’agissant d’une dénonciation de ce film publicitaire ».
Le CIFOG a également invoqué le droit d’auteur sur le film qui serait contrefait par sa reprise partielle dans le sport de L214. La Cour procède classiquement à une balance des intérêts : « il revient au juge de rechercher un juste équilibre entre les droits en présence, la liberté d’expression et le droit d’auteur ». La motivation est succincte mais la Cour d’appel considère que le CIFOG ne démontre pas suffisamment l’existence et la titularité du droit d’auteur, et qu’en tout état de cause l’exception de parodie permettrait d’échapper à la contrefaçon.
La Cour d’appel infirme donc l’ordonnance de première instance qui avait interdit le film de L214 : « il n’est justifié avec l’évidence requise en référé ni d’une violation d’un droit ni d’un dommage imminent caractérisant un besoin social impérieux de porter atteinte à la liberté d’expression de l’association L214 dont l’activité porte sur la question du bien-être animal »
Illustration de la difficulté de protéger un concept : à propos de l’Escape Game (CA Paris, 5 mars 2020).
La société HHP qui indique être la première à avoir importé le concept d’Escape Game en France, a assigné en concurrence déloyale et parasitisme une société Toogood qui avait repris le concept. Tous les griefs sont invoqués : parasitisme, concurrencé déloyale, copie des signes distinctifs, copie du site Internet, reprise de la stratégie commerciale, dénigrement et utilisation d’Adwords.
Aucun grief n’est retenu par la Cour d’appel. Cet arrêt permet de faire le point sur la protection des concepts.
Pour plus de détails : http://www.orisavocats.com/heurs-malheurs-de-protection-dun-concept-a-propos-de-lescape-game-ca-paris-5-mars-2020/
Frais de brevet et Crédit Impôt recherche au sein d’un groupe de sociétés : attention aux abus (CAA Versailles, 25 février 2020)
L’article 244 quater B du Code Général des impôts prévoient que sont des dépenses entrant dans la base de calcul du CIR) les frais de prise, de maintenance et de défense des brevets.
Dans la cas soumis à la CAA, un groupe multinational avait organisé son système PI de la façon suivante :
- La société française cède la technologie produite dans son centre de recherches et développements à des sociétés du groupe aux USA et au Luxembourg
- La société française prend en charge les frais de prise, de maintenance et de défense de ces brevets, y compris les taxes versées à l’INPI et à l’OEB, puis refacture ensuite ces dépenses aux sociétés titulaires de brevets situées hors de France.
Ainsi, la société française souhaitait bénéficier du CIR pour des dépenses finalement refacturées à des sociétés étrangères.
La CAA considère que la société française ne peut pas bénéficier du CIR pour ces dépenses car du fait de cette refacturation, elle ne peut être regardée comme ayant exposé ces dépenses au sens de l’article 244 quater B du CGI.
Superman contre Superzings : le super-héros indestructible (EUIPO, 7 avril 2020)
« Faster than a speeding bullet, more powerful than a locomotive, able to leap tall buildings in a single bound ».
Devant l’EUIPO, DC COMICS a formé opposition contre une demande SUPERZINGS pour des jeux et des figurines en classe 28 sur la base de la renommée de sa marque SUPERMAN. Après analyse des preuves, l’EUIPO retient la renommée en classe 16 (bandes dessinées) mais pas en classe 41 (services de divertissement).
Ce léger accroc n’empêche pas que l’atteinte à la marque renommée soit reconnue notamment car « il est notoire que des entreprises, telles que l’opposante, un éditeur de bandes dessinées de bandes dessinées, comme SUPERMAN, exploitent leur signe en lien avec une large gamme de marchandises, comme l’a démontré l’opposante .Les consommateurs sont conscients du fait que le signe fait référence aux livres dessinés célèbres et ses pouvoirs d’attraction et ses caractéristiques à la mode sont utilisés pour promouvoir la commercialisation des produits respectifs »
L’intérêt du numéro ASIN pour prouver une antériorité en dessin et modèle (EUIPO, 10 mars et 8 avril 2020)
Pour agir en nullité contre un dessin et modèle, il faut prouver qu’un document détruisant la nouveauté ou le caractère individuel a été divulgué avant la date de dépôt (ou de priorité). Les débats sont nourris concernant les divulgations issues d’internet.
AMAZON identifie chaque produit par un code ASIN (Amazon Standard Identification Number) auquel est associée une date de première mise en ligne.
Dans deux décisions des 10 mars et 8 avril, l’EUIPO a accepté la preuve d’une divulgation par l’utilisation du code ASIN à défaut d’informations contraires : « Le dessin ou modèle antérieur D2 est identifié par le code ASIN B076WZ8TYB. La date précède la date de dépôt du DMC. En l’absence d’informations contraires aux preuves fournies, D2 est réputé mis à la disposition du public sur ledit site de vente en ligne avant la date de dépôt du DMC ».
Devant l’EUIPO, le demandeur en nullité pourrait donc se contenter d’impressions écran (ou de constat d’huissier) d’une page Amazon mentionnant le code ASIN et la date de mise en ligne. Il n’est pas certain que la jurisprudence française soit aussi souple car cette divulgation n’est attestée que par une société privée.
But pour Golden Balls contre Ballon d’Or (EUIPO, 24 avril 2020)
Le Ballon d’Or est une récompense attribuée au meilleur joueur de football de l’année. La marque est déposée pour de nombreux produits et services.
La décennie 2010-2020 a été marquée par le match très disputé engagé contre les demandes de marques GOLDEN BALLS. Dans cette affaire, il y aura eu 4 décisions de la division d’opposition, 3 décisions des chambres de recours, 2 arrêts du Tribunal et un de la Cour de Justice (série en cours). Il existe même une page Facebook (https://www.facebook.com/Justiceforgoldenballs/)
Suite à une demande en déchéance, la marque Ballon d’Or est déclarée déchue pour quasiment l’intégralité des produits et services en classes 9, 14, 16, 18, 25, 28, 38 et 41 et reste valable pour les « Sporting activities, namely organisation of sports competitions and awarding of trophies ».
Cette décision permet de rappeler qu’une marque doit être exploitée pour chaque produit et service désigné cinq ans après l’enregistrement de la marque. La notoriété de la marque ne permet pas de « sauver » les autres produits et services non-exploités mais permet d’agir contre des signes utilisés pour des produits et services différents qui tireraient profit indûment de cette notoriété.
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